Antoine Wauters

« Dans ce monde abîmé, la parole d'un écrivain doit être claire et honnête »

Le travail d'écrivain est avant tout un travail plutôt solitaire... Quelle importance revêt pour vous le fait d'aller à la rencontre directe du public ? Et plus précisément du public scolaire ?

Antoine Wauters : C'est un exercice que j'aime. Rencontrer les lecteurs, c'est important. Mais j'y mets une énergie colossale, je me livre totalement, si bien que c'est parfois éreintant. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, au fond, pourquoi j'ai besoin de m'ouvrir complètement à mes lecteurs. Je crois que je ne peux pas leur mentir. Je me dis que si j'ai choisi la voie de l'écriture, ce n'est pas pour raconter n'importe quoi aux gens qui ont la curiosité de venir m'écouter. C'est pourquoi je leur donne tout. Et je le fais encore plus volontiers quand il s'agit de jeunes. Je me dis que j'ai une responsabilité envers eux. Dans ce monde abîmé, oui, je me dis que la parole d'un écrivain doit être claire et honnête.

Qu'apportent ces rencontres à votre travail d'écrivain proprement dit ?

Il y a quelque chose de sacrificiel dans ces rencontres. Comme si elles nous éloignaient de l'écriture pour mieux nous y ramener. Pour le dire autrement : on n'a pas toujours envie d'être loin de chez soi pour parler de notre travail. Mais on le fait, parce que les livres sont fragiles, les lecteurs peu nombreux et qu'un monde sans littérature me semble désespérant, particulièrement dans le contexte politique actuel. Dans le contexte actuel, il faut débattre, il faut parler, il faut que la littérature jette dans l'air d'autres idées, d'autres images, qu'elle façonne d'autres possibles, d'autres joies. C'est extrêmement important. Simplement, au bout de dizaines et de dizaines de rencontres, on se dit qu'il est temps de rentrer à la maison — et de se remettre à vivre et à écrire.

Comment avez-vous vécu ces presque deux ans sans contact avec vos lecteurs ? Cela a-t-il changé votre rapport à cet aspect de votre travail ?

J'ai beaucoup écrit pendant ces deux ans. Et j'ai beaucoup écrit parce que j'étais très en colère, très enragé. Contre bien des choses. Ces deux années ont amené à mes livres quelque chose de plus politique, je crois, de plus engagé. Pardon de le dire aussi lapidairement mais la littérature ne peut plus se regarder le nombril. Il est temps que les écrivains actent, dans leurs histoires, que nous avons quelques crises urgentes à gérer et qu'il n'est plus possible de leur tourner le dos. Moi, j'ai envie d'écrire des livres qui parlent de notre monde abîmé — je ne peux plus faire autrement — mais en y injectant des raisons d'espérer, toujours. Ecrire des livres, c'est montrer les maladies d'une époque et inventer simultanément des remèdes. Il faut les deux. C'est ça, l'honnêteté que je dois aux jeunes. Dire à la fois ce qui va mal — et le dire avec des mots clairs — mais ne pas sombrer dans la désespérance.

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE DUCHÊNE

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