Écriture formulaire dans l’œuvre d’Antoine Wauters
Par Cassandre Heyraud
La lecture conjointe de Mahmoud ou la montée des eaux(2021) et de Le musée des contradictions(2022) d’Antoine Wauters peut donner une impression de déjà vu, ou même de déjà lu, tant les similitudes entre les deux œuvres sont frappantes : même passion pour Verdi, thématiques privilégiées de l’enfance et de la perte… Allons au-delà de ces simples motifs obsédants pour étudier le caractère formulaire de l’écriture de Wauters, c’est-à-dire la répétition textuelle d’expressions.
Les échos entre les deux textes sont nombreux, notamment entre Mahmoud et le « Discours d’une troupe en pyjama », où, à chaque fois, un vieil homme s’adresse à sa femme qu’il a perdue et se remémore avec mélancolie son passé. On retrouve les formules suivantes : « où nous avons joui l’un de l’autre tant de fois » (p. 24 du Musée) et « Nous avons joui l’un de l’autre de nombreuses fois » (p. 10 de Mahmoud), ou encore « à présent je peux dire amour », à l’identique à la page 22 duMuséeet à la page 40 de Mahmoud. De même, la femme aimée est présentée comme une lectrice de « livres de poésie » à la page 23 du Musée, ce qui rappelle la figure de Sarah dans Mahmoud. Les deux femmes sont également décrites dans une scène similaire : « Dans le verger, tu cueilles une pomme pour moi, debout sur l’échelle, tes fesses rondes comme deux pains aux noix de Tante Rosalie » (p. 24 du Musée), « Dans le verger, je cueille une pêche pour toi, debout / sur une échelle […], / tes fesses rondes comme deux pains aux noix de tante / Anaïta. » (p. 69 de Mahmoud). L’oubli lie également les textes puisque les deux personnages, équipés, réellement ou grâce à leur imagination, d’un « masque », d’un « tuba » et d’une « lampe torche » nagent dans un lac, au-dessus du village englouti de leur enfance, entourés d’algues « gonflées comme la chevelure des morts » (p. 11 de Mahmoudet p. 23 du Musée). Jean, la voix qui se fait entendre dans le discours, déplore que dans son EHPAD il soit considéré comme sénile. « L’oubli est une seconde mémoire », déclare-t-il à la page 24, phrase textuellement identique à celle prononcée par Mahmoud à la page 69.
De plus, le caractère formulaire de l’écriture de Wauters se retrouve au sein même des œuvres, en particulier dans Mahmoud ou la montée des eaux, texte poétique, malgré sa parution sous la dénomination de « roman », où des vers similaires reviennent à plusieurs reprises. Cela peut se produire à quelques pages d’intervalle, comme l’expression « buisson de lumière » (p. 10 et p. 11), « Je vais rester [ici] encore un peu » (p. 48 et p. 50), ou de manière plus distanciée au sein de l’œuvre. Ainsi, à deux reprises Mahmoud déclare-t-il : « Je sauve un papillon [de la noyade] », (p. 12 et p. 45). Il arrive fréquemment que des termes soient repris à l’identique ou presque par les deux personnages en charge de l’énonciation, le poète, et son épouse, Sarah. Le couple antithétique « mémoire et oubli » est ainsi convoqué aux pages 100 et 123, tandis que le récit des atrocités commises par les soldats sur les femmes est répété au début et à la fin (p. 20 et p. 128), conférant une dimension cyclique à l’œuvre. De même, aux « poèmes / d’amour, et de lune et de vent » de la page 30 font écho les « histoires de lune, d’eau, et de vent » de la page 129.
Enfin, Mahmoud ou la montée des eaux, semble associer étroitement écriture poétique et recherche d’épithètes pour qualifier les personnages, ce qui n’est pas sans rappeler la pratique d’Homère dans L’Iliadeet L’Odyssée (« Ulysse aux mille ruses »…). La dénonciation du régime syrien se fait par la disqualification du fils El-Assad, qualifié de « Bachar aux yeux de requin fou » aux pages 19 et 125. C’est la seule épithète qui soit négative et qui caractérise quelqu’un qui ne prend pas directement part au récit. Les deux femmes de Mahmoud, Leïla et Sarah, sont décrites de manière très lyrique : « Leïla-de-la-montagne » (p. 28, p. 30, p. 106), « Leïla de mon cœur » (p. 30), « Sarah-de-mon-cœur » (p. 46), « Leïla ma bien-aimée / À la bouche d’ivresse et aux pieds soyeux » (p. 106), « Sa bouche comme les pétales des fleurs » (p. 27), « sa bouche / profonde comme la mer » (p. 106). Le poème se mue alors en blason, c’est-à-dire en la description élogieuse d’une partie du corps, ici la bouche, qui est associée à une tournure comparative accentuant l’éloge de l’être aimé. De plus, une occurrence renvoie à la fille de Mahmoud : « Nazifé / à la belle chevelure » (p. 69). Sarah, pour sa part, qualifie son mari de « Mahmoud des eaux et des regrets », (p. 41), tandis que lui-même se désigne par l’épithète « Mahmoud des prairies » aux pages 46 et 69 lorsqu’il se remémore son enfance. Notons, pour finir, que la même formule se retrouve exactement à la page 24 de Le musée des contradictions, « Jean des prairies », dans un contexte identique, avec une simple inversion au sein du groupe nominal : « courtes culottes » et « culottes courtes ».
Cassandre HEYRAUD