Pour que je m’aime encore : Un roman initiatique qui fait l’éloge de l’échec
Par Joana Thanasi
Après Marx et La Poupée(2017),premier roman autobiographique de Maryam MADJIDI où celle-ci raconte l’histoire d’exil de sa double littéraire, Maryam, à la suite de la révolution iranienne, commençant dès son enfance dans le ventre de sa mère jusqu’à la prise de conscience de sa double identité franco-iranienne à l’âge adulte, Pour que je m’aime encore (2021), marque le deuxième roman de cette autrice qui se focalise cette fois sur son adolescence en banlieue parisienne, relatant de manière attachante, spontanée et pleine d’humour ses tentatives désastreuses de s’identifier aux filles « occidentales » et de monter les échelons sociaux pour faire partie de l’élite parisienne à travers « la voie royale ». Celle-ci représente le chemin qu’un élève doit suivre pour réussir à intégrer l’élite française par les études de lettres.
Si dans Marx et La Poupée, l’accent est mis sur les difficultés de Maryam à s’intégrer à une nouvelle vie dans un pays occidental dont elle ne parlait pas la langue et ne connaissait pas la culture, dans Pour que je m’aime encore, Maryam adolescente est en pleine intégration dans la société française. En effet, elle se sent si attachée à cette culture qu’elle veut ressembler même physiquement aux filles occidentales au détriment du canon de la beauté iranienne : « les cheveux frisés », « le mono-sourcil », « la moustache ». Ainsi, chaque trait qui la lie à l’Iran est considéré par elle comme un ennemi, et chaque tentative (même désastreuse) pour cacher ses origines, comme un pas en avant vers son avenir brillant : « J’étais défigurée mais j’avais vaincu mes deux plus grands ennemis : le mono-sourcil et la moustache. Victoire à la Pyrrhus, mais victoire quand même ». Maryam écrivaine jette un regard ironique et humoristique sur son passé d’adolescente et dépeint à travers sa vision d’adulte la conception qu’elle avait d’elle-même à cette période de sa vie, utilisant également des références antiques ainsi que la figure stylistique de personnification pour décrire le rôle que ces traits orientaux avaient dans son esprit.
Ce roman autobiographique prône la réussite par la singularité, et critique toute idée calquée par la société qu’il existe un seul chemin, la voie royale, que tous les hommes doivent suivre pour gravir les échelons de la société et qu’ils sont tous égaux sur ce chemin de la réussite, s’ils restent studieux. Le passage éphémère de Maryam en classe préparatoire au lycée Fénelon à Paris lui permet d’ouvrir les yeux et de comprendre que la société ne fonctionne pas de la manière qu’elle l’avait imaginé, et que le monde auquel elle voulait accéder était plus violent que ne l’était sa banlieue dans l’esprit des personnages parisiens du roman. Maryam fait face à des étudiants dans sa classe préparatoire qui n’appartiennent pas à sa classe sociale et qui sont élevés dès leur enfance avec l’esprit de concurrence, d’ambition et d’égoïsme sans avoir manqué de rien. Dans cette classe, de l’échec d’un étudiant dépendait la réussite de l’autre et l’amitié n’existait que pour sauver les apparences.
Si ce roman relate l’échec de cette jeune fille, il finit par donner une lueur d’espoir. La narratrice adulte insère dans la dernière page de son roman une réflexion conclusive : « Je vous écris de Drancy. C’est une ville qui ne frime pas, qui ne fait rêver personne mais ici c’est chez moi. J’ai jeté l’ancre ». L’utilisation de cette métaphore à double signification « l’ancre » met en valeur la réussite que Maryam atteint par ses échecs. D’une part, elle accepte et apprend à apprécier sa vie en banlieue en choisissant d’y vivre après ses études, malgré son désir d’adolescente de l’abandonner. De l’autre, à la manière de Marcel, le narrateur de la Recherche du temps perdu, elle avoue à la fin du roman avoir trouvé sa vocation d’écrivaine, suggérant ainsi qu’elle est l’écrivaine de Pour que je m’aime encore, ce roman plein de références littéraires, cinématographiques, publicitaires, que les lecteurs ont dans leurs mains…
Joana Thanasi