Inverser le regard sur les migrations

Projet : Le bureau des idées


Bonjour,

Tess se demande si vous avez choisi vos études en fonction de votre intérêt pour les migrations ou si votre intérêt est né pendant vos études ? Qu’est-ce qui vous motive dans le choix de ce sujet ? 

Camille Schmoll : J’ai fait des études d’histoire et de géographie et je suis partie, en quatrième année, en séjour Erasmus en Italie, à Naples. Erasmus est un programme européen qui permet aux étudiants de passer un semestre ou deux dans une université européenne. Ce séjour a été très important pour moi : d’abord il m’a donné la passion de l’Italie (qui ne m’a plus quittée depuis !) et j’ai pris conscience de l’importance des migrations vers le Sud de l’Europe. Ça m’a donné envie d’enquêter sur la question ! Au début j’ai fait une ethnographie sur un village du Sud de l’Italie qui, à l’époque, accueillait beaucoup de migrants marocains. Je suis allée dans le village de ces personnes au Maroc. J’ai la chance d’avoir une activité de recherche très humaine et qui me fait aussi beaucoup voyager, même si en ce moment tout est un peu suspendu. Ce qui me motive, dans mes recherches, c’est la part d’humanité : quand on fait des sciences sociales on a souvent la chance d’aller à la rencontre de gens, et c’est absolument passionnant de les observer et d’essayer de les comprendre. Pour Les Damnées de la mer, livre sur lequel j’ai commencé à travailler il y a une dizaine d’années, la question moteur au départ c’est « qu’est-ce qui pousse des femmes à entreprendre des voyages aussi difficiles ? Comment les vivent-elles et comment parviennent-elles à donner un sens à tout ce qu’elles traversent ? »

 

Êtes-vous engagée dans des associations d’aide aux migrant-e-s ?

CS : J’interviens régulièrement dans des associations d’aide aux migrant-e-s même si à mon goût je n’en fait pas assez. Je suis très admirative de l’action d’associations comme la CIMADE ou le Gisti par exemple.

 

Camille et Anne aimeraient savoir si vous pensez que la mort des migrants en route est due à « une crise migratoire » ou à « une crise de l’accueil » ?

CS : On a du mal avec cette idée de crise, nous les chercheur-e-s, car si il y a crise c’est une crise du courage et de l’imagination des politiques. Les réponses apportées à la question migratoire ne pourront améliorer le sort des personnes tant qu’on continuera à aborder la migration comme un problème, un danger, un fardeau. Il faut inverser le regard, comprendre d’abord que les personnes qui migrent sont extrêmement déterminées et qu’elles ont des ressources : elles ne viennent pas jusqu’en Europe pour peser sur les finances publiques et grossir le trou de la sécu, comme on l’entend fréquemment ! Il faut leur donner une chance. 

Et puis ce qui me fait peur, c’est qu’on s’est habitués à la mort, comme si c’était quelque chose d’inéluctable, une fatalité : il y a quelques semaines un petit bébé est mort alors qu’il venait d’être secouru et on en a à peine parlé ! Or, on peut « inverser la tendance ». On manque simplement de courage politique pour le faire.

 

Peut-on vraiment dire que les ONG sont des « complices des passeurs » ?

CS : Les ONG sauvent des vies. Elles ne sont pas complices. Il faut peut-être ici rappeler que, par le passé, les gens pouvaient migrer par avion ou par d’autres modes d’entrée légaux, avec un visa par exemple. Ces dernières années les migrations se font de plus en plus via la voie terrestre ou maritime, faute pouvoir demander des visas pour raisons humanitaires par exemple. Cette « illégalisation de la migration » nourrit l’industrie du passage. Si on interdit quelque chose, il faut des gens pour vous aider à le faire illégalement. Mais les ONG ne sont pas complices. Elles font simplement ce que les États devraient faire.

 

Enfin Juliette souhaiterait savoir si vous avez participé à des missions pour sauver/aider des migrants ? si vous êtes allées sur le terrain pour rencontrer les migrants avec lesquels vous travaillez.

CS : Je suis allée très fréquemment sur le terrain et j’ai participé à des activités d’aide bien sûr, mais en tant que chercheuses. En revanche, je n’ai jamais participé à une opération en mer.

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