A la façon de Camille Ammoun : A bout de souffle

Projet : Atelier des récits


par Julien,

étudiant en CPGE au Lycée du Parc

 

La partie idéale d’un tout indéfini qui s’enfuit à l’infini. Entendez-vous aussi ce cri ? Ou bien est-ce un appel lancé du fond de l’Homme ? Un hommage. Pourtant. Vivre et mourir. L’homme face au vent est toujours seul et ne peut se laisser emporter – les étoiles le surveillent. Il doit tracer sa voie, sa vie, au gré de ses idées, entre les cités.

L’Aleph n’est pas un objet mais un court instant. Un instinct de survie, un instant de folie. Quoi de plus personnel et de plus circonstanciel que cet instant, qui est aussi celui de la lecture, de l’écriture, de la vie et de la mort. A peine pense-t-on le saisir qu’il a pris la fuite, et il faut le rattraper. A peine essayons nous de le décrire, d’en dessiner les contours, qu’il est déjà mort. Expérience de vie imminente, l’Aleph nécessite un plein rapport à soi, c’est-à-dire aux autres. L’absolu dans le momentané. L’épuisement du corps, l’exténuation de tous les sens, l’épanchement de l’âme.

On ne ment pas avec ces choses-là.

Atteindre l’omniscience, comme une résilience, une délivrance : une espérance. Se laisser dévorer par cette volonté de puissance, cette imprévisible et pourtant si évidente communicabilité de l’être qui vous saisit et vous enveloppe ainsi que l’espace et le temps qu’elle recouvre de sa tunique d’or.

Cet effet propre à la musique. Cette fois, c’est au rythme de l’univers que la danse commence et s’élance.        Etre en puissance.

L’absolu dans le momentané. Parcourir les rives de l’éternité. Aurions-nous découvert une partie qui déborderait d’intensité au point de se soustraire ou bien de surpasser le tout dans lequel elle est supposée être contenue ? Un tel instant ne serait être l’objet d’une contemplation naïve et passive. Expression de la volonté de puissance, il ne peut qu’être mouvement, agitation de l’être. L’Aleph : gloire du passé, redécouverte de l’instant. Dans un monde hyperconnecté qui nous déconnecte de la crainte et de l’amour de l’homme, l’errance seule peut nous sauver. Se perdre en soi-même. C’est se reconnecter avec l’histoire, la terre, le ciel, l’instinct, la vie, le corps, la mort.

Rejoindre la course de l’humanité

Courir. La course est cette expérience totalisante, flânerie déterminée de l’esprit. C’est se projeter dans l’avenir à la lumière du passé. C’est frôler ce sommet que peu d’alpinistes, si ce n’est quelques philosophes peut être, sont parvenus à effleurer du fond de leur génie. C’est ce souffle du temps qui vous anime et vous permet d’avancer. Un soupir du fond du corps.

C’est sentir ce soleil qui vous brûle ou ce froid qui vous glace, c’est respirer cette terre que vous survolez de votre ombre éphémère ; c’est ressentir cette soif du désert, cette caresse de l’océan. Un appel vers le néant. C’est tomber sous les charmes de la souffrance et se relever au pied de cette cathédrale de l’indécence.  Oasis de solitude bercée par leur voix.

Renaissance.

C’est provoquer une secousse à chaque pas qui résonne dans mon esprit comme dans les rues de

Tel-Aviv ou dans le cœur de Paris. Un absolu inscrit dans chaque instant.  Alors que le Spleen est là, je le sens, je le vois, posé sur les branches de l’arbre solitude, je nous vois enfin. A bout de souffle, sans pouvoir la définir, entre deux battements de mort, à la croisée d’un regard – ou bien est-ce un soupir ? – de son sein grossier et pourtant si délicieux naît une solidarité nouvelle, comme un homme tombé du ciel. Sommes-nous capables d’aimer ?

Plaisir souterrain.

Sur le timbre régulier du cœur, les percutions de mes pas, mon esprit danse sur la corde vibrante de notre humanité. Flirter avec l’éternité. Flottantes dans un espace en constante expansion, mes pensées rejoignent celles qui composent le tout, le nous. Du petit trou de verdure de Rimbaud surgit la moustache du surhomme, surplombant les mémoires de ces hommes et femmes qui continuent de faire vivre le monde ; à qui sait se mettre à leur écoute.

Les enfers. Ferveur du mal. Bourgeons en fleurs du mal endormi à mes côtés. Désormais je les respire à plein poumon, et à leur parfum de doute se mêle la senteur amère d’une énigme dissoute dans l’océan larmoyant de l’univers. Un éveil.

Uni vers un tout.

La course est avant tout un rythme, un battement d’aile, une danse effrénée de l’esprit, un pas léger, qui roule sur le béton. Accélérer les battements du cœur pour ressentir en un instant la douceur de la peau d’une jeune fille qui joue avec son cerceau, comme un enfant du ciel, un anneau. Voir le monde entre deux battements de cils. C’est ralentir, pour écouter le déchaînement dépassionné de nos raisons. Quand les notes s’envolent et s’entremêlent.

Mais qu’elle est belle.

C’est sentir le cœur de l’humanité qui bat dans sa poitrine. C’est être à soi en s’offrant à elle, à lui, à nous. C’est proposer, évoquer, effleurer, respirer, observer, s’essouffler, caresser, s’égarer mais ne jamais s’arrêter. C’est ce fluide qui trouve sa source en nous et qui repose partout ailleurs.

Epices d’Orient, sel de Camargue. C’est suivre de l’âme ce train qui passe et descendre à la prochaine gare, s’habiller de noir et partir au Tennessee ; prendre ses rames et parcourir le monde sur son radeau de souvenir, au chant des sirènes de la ville ; champs de fleur et champs de bataille, place de Tian’anmen ou pyramide de feu du Caire. L’absolu rime avec l’Homme. L’esprit poursuit le corps dans cette danse inachevée. Au galop de la grande plaine. Dernier espoir pour retrouver ses semblables.

Entends-tu ce vacarme ?

Courir c’est se détruire, se nourrir, rire et pâtir. Ressentir. Proche de l’effort qui est celui de l’humanité pour se hisser hors d’elle-même, le théâtre des pulsions nous est offert. Fleuve de haine et de sang, veine gorgée de noirs sentiments, destruction. C’est revivre la guerre de Troie avec le divin regard du dernier jour d’un condamné.  La sens-tu ?  Vivre et mourir. Courir pour survivre. Briser le cycle. C’est manquer d’air et se rapprocher un peu plus, à mesure que nos paupières vacillent, de la mort. De cet absolu. C’est traquer à nouveau, et pour de bon cette fois, sa proie dans la savane. C’est marcher nu dans la boue, bondir entre les arbres. C’est trébucher sur un rocher et apercevoir ce qui sans cela serait resté caché. L’absolu dans le momentané. C’est faire bouillir son sang des breuvages des temps anciens. C’est transpirer à pleines gouttes, qui en retombant, viendront nourrir une rose, un réséda, un scarabée.

Ce qui ne me tue pas nous rend plus fort.

N’a-t-on jamais été aussi vivant qu’à l’approche de la mort ? A bout de souffle, je ne pense plus tout à fait clair. Est-ce la nuit ou le soleil qui me berce ? Tant de questions et comme seule réponse : une intuition. Les voies de l’Aleph sont impénétrables à qui ne sait attendre, entendre et se méprendre. Avoir sondé les profondeurs de son âme. Avoir souffert. Avoir vécu. L’Aleph est une expérience singulière. Il ne peut s’apprivoiser. Il finit par nous dompter. Il se nourrit de notre effort, de cette quête d’absolu. Il se présente comme cet immense et habile point d’interrogation sur le sens de l’homme. Il se rit de nous. Il joue avec nous. L’éternité est l’affaire d’un instant. Un instant seulement.

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