Musicalité et écriture musicale dans « Les Lumières d’Oujda » – M. Schaeverbeke

Projet : L'œil des étudiants


Musicalité et écriture musicale dans Les Lumières d’Oujda

Par Marie Schaeverbeke

 

Les Lumières d’Oujda(2020) de Marc Alexandre Oho Bambe se lit comme une Odyssée sonore, une variation sur les thèmes de l’exil, du retour, du retour contraint au pays natal, des rencontres, de la construction et reconstruction. L’éventail des personnages décrits montre des parcours, marqués par des départs, des sacrifices, des liens, ainsi que des lieux structurants ou déchirants comme Paris, Rome, Oujda ou Douala, d’où est originaire l’auteur. L’écriture, elle, fait résonner les mots, reflétant le geste littéraire de l’écrivain pour qui les vers sont musicaux et s’écoutent. Ici, les voix, multiples, sont celles des personnages et du questionnement interne au texte, faisant advenir le « pourquoi » comme un refrain.

Pourquoi partir ?

 

À cette question explicite et développée à diverses reprises, s’ajoute celle de pourquoi écrire, déployant le thème du pouvoir de la littérature et de l’écriture, pour soi et pour les autres. Écrire est en effet ici à la fois le geste créateur à l’origine du texte mais aussi pensé comme un thème. Les personnages eux-même, en effet, écrivent et s’écrivent. C’est-à-dire qu’ils échangent des correspondances tout comme ils se disent par le texte. Texte qui est aussi mis en musique, par le rap.

« RAP (Réapprendre à parler), c’était bien de cela qu’il s’agissait, aussi.
Réapprendre à parler.
Pour se défaire de l’orage.
Dire, être. Au monde. Présent à soi et à ses rêves. Déportés.
Dire, être. Au monde.
Se réunir. Se recentrer. Se renouer. Se retrouver.
Après la perte. De tout repère humain. »[1]

 

À l’image du poète écrivain slameur, les personnages sont eux-mêmes parfois rappeurs. Ainsi, Yaguine et Fodé rappent leur réalité et leur histoire : « et leur rap n’était pas petit. / Il était grand. / Grand comme le monde. / Le monde à portée de leurs mots »[2]. La musique inonde alors le texte, comme un motif, une structure et un thème. La musique est en effet thématisée, déployée par les personnages mais elle est aussi intertexte avec de multiples références précises comme MC Solaar, Keny Arkana, Abd al Malik et d’autres encore, ou des références plus générales au blues. La musicalité du texte se fait entendre par le biais de rimes, de répétitions et jeux de mots, et se rend par ailleurs visuelle, comme une architecture guidant la lecture. Les ruptures de rythme sont ainsi multiples, les silences nombreux et structurants (par la ponctuation, la mise en page et les renvois à la ligne), voire absents, faisant alors advenir le texte fleuve et rompant le tempo, afin de répondre à cette question essentielle et existentielle.

Pourquoi partir ?

 

La musicalité fait entendre ce texte, ces mots et ces voix, ses mots et ses voix, par le biais de cette écriture libre, empruntant aux différentes formes d’expression et d’expériences d’écriture. Cette musicalité est ce qui permet de dire l’indicible et d’exprimer les non-dits. La musique apparaît alors comme un fil conducteur mais aussi un travail d’écriture. L’auteur, en ce sens, joue avec les frontières du roman, en intégrant au texte une diversité d’écritures, d’inspirations artistiques et de genres littéraires. Le roman documentaire est ainsi poétisé et musicalisé. Le texte, ouvert à la réflexion, reste cependant en suspens. Si la mélodie développée donne des pistes, elle laisse par ailleurs l’interprétation libre, la question et le champ des possibles ouverts, invitant le lecteur à s’interroger.

 

Ce texte, enfin, est lui-même mis en musique, à différentes reprises, par l’auteur, accompagné notamment de Calvin Yug. La musicalité exprimée et revendiquée ne se limite donc pas à l’écriture et la lecture intime que pourrait en faire le lecteur, mais se joue et se donne à entendre, faisant passer le texte de la scène du roman à la scène musicale, non pas dans une logique hermétique entre les exercices mais dans une logique de complémentarité.

 

Marie Schaeverbeke

 

[1]p.57.

[2]p.115.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *