Chine et Russie : comment ces régimes autoritaires musellent leur opposition

Ceci est une publication publiée par Amandine Miallier / Sciences Po Lyon

Projet : L'œil des étudiants


Comment faire entendre des critiques dans des régimes autoritaires ? Comment les dirigeants de ces régimes s’appliquent-ils à museler leurs opposants ? Pour répondre à ces questions, François Bougon, ancien correspondant en Chine pour Le Monde, Galia Ackerman, historienne russe, et Mila Turajlic, documentariste serbe, étaient les invités du festival (Re)faire société : Mode d’emploi de la Villa Gillet. Ils ont participé le 19 novembre à un débat intitulé « Rompre avec l’ordre établi ».

La Chine et la Russie sont-elles des régimes autoritaires ? Sont-elles qualifiées de cette façon ? Le débat s’ouvre sur de nécessaires questions de définition. L’historienne russe Galia Ackerman tranche rapidement : en Russie, la démocratie est une façade, une coquille vide. « Des élections sans choix n’ont pas beaucoup de sens. Il y a une alternance de figures mais pas de pouvoir ».

Vladimir Poutine se maintient au pouvoir en Russie depuis 1999, presque sans interruption. Puisque la constitution russe limite à deux le nombre de mandats successifs à la présidence de la Fédération de Russie, il occupe le poste de premier ministre sous la présidence de Dmitri Medvedev, de 2008 à 2012, avant de se faire réélire président en 2012.

François Bougon est encore plus sévère avec la Chine : « le régime de Xi Jinping est une dictature à bien des égards », déclare-t-il. Le livre qu’il a écrit en 2017 sur le dirigeant chinois, Dans la tête de Xi Jinping, le compare même au président russe.

« Xi a bien détrompé les espoirs placés en lui. Certains attendaient Gorbatchev, c’est un Poutine chinois qui a émergé… ».

La comparaison ne s’arrête pas là. L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2012, a ouvert une nouvelle phase de restriction des déjà maigres libertés publiques chinoises, que ce soit dans le domaine des médias ou du droit. Si Xi Jinping refuse toute réforme politique, c’est « par peur de voir se répéter le scénario soviétique », estime François Bougon.

« Les voix dissidentes ne sont guère audibles »

Quelle place pour l’opposition dans ces régimes autoritaires ? Si elle est réduite, elle n’est pas inexistante pour autant. Galia Ackerman explique ainsi que « la Russie tolère qu’une partie de sa population, 15% environ, ne l’aime pas et s’oppose à elle ».

François Bougon est plus pessimiste concernant la Chine. S’il y a toujours eu une opposition officielle en Chine, depuis l’époque de Mao Zedong, celle-ci est inoffensive. Les autres voix critiques sont réprimées : « sous Xi Jinping, les voix dissidentes ne sont guère audibles ».

L’usage des technologies par le pouvoir est à cet égard très intéressant. La mainmise de l’Etat sur la télévision est suffisante pour maintenir une partie de la population sous son autorité et faire passer sa propagande. Galia Ackerman rappelle que :

« Aujourd’hui encore, 60% des citoyens russes tirent leurs informations de la télévision ».

Il n’est donc pas étonnant de voir que c’est à la télévision que Xi Jinping fait apparaître ses opposants pour des séances d’autocritique dignes des années Mao. Récemment, les réseaux sociaux ont également été utilisés pour des confessions forcées. En 2018, l’actrice Fan Bingbing a publié une lettre sur son compte Weibo :

« J’ai réfléchi à mes actions. J’ai honte de ce que j’ai fait et je le regrette profondément. Je m’excuse sincèrement auprès de tout le monde ».

Après avoir été accusée de fraude fiscale, l’actrice avait disparu pendant trois mois, placée en résidence surveillée par le régime. L’utilisation du réseau social Weibo est-elle une manière d’éviter à l’actrice une humiliation publique à la télévision ou de toucher une autre partie de la population, plus jeune et extrêmement connectée ?

« Les réseaux sociaux donnent aux gens un forum public où s’exprimer »

Les réseaux sociaux, et Internet en général, sont pour activistes, dissidents et opposants, un moyen de s’informer et de communiquer. « En Russie, il y a des sites d’oppositions, une web-TV et une webradio. Si on a le désir de savoir, on peut », témoigne Galia Ackerman.

Preuve de la relative tolérance du régime à l’égard de ces sites, la loi de l’Internet souverain rendant possible une isolation de l’Internet russe du reste de l’Internet mondial n’a jamais été mise en place.

La Chine se trouve une étape plus loin sur le sujet. « L’Internet est devenu un intranet, ce qu’aucun expert n’avait pensé envisageable », explique François Bougon dans La Chine sous contrôle, paru en 2019.

Les réseaux sociaux ne sont pas seulement un espace de discussion, mais un espace où « mettre en question le récit national ». « Ils donnent aux gens un forum public où s’exprimer », explique Mila Turajlic. Cet espace n’est cependant pas toujours facilement accessible. Si les réseaux sociaux sont libres en Russie, ce n’est pas le cas en Chine. Les citoyens chinois doivent utiliser un VPN pour y accéder ou utiliser un langage codé pour partager leurs critiques sur les réseaux sociaux chinois.

Galia Ackerman ajoute que :

« Le travail de propagande agit de manière que les gens ne sachent plus ce qu’est un travail politique ».

Les réseaux sociaux, comme les rassemblements dans des lieux publics, permettent à la population de réapprendre le travail politique et d’imaginer de nouvelles formes politiques, plus horizontales.

C’est cet espace de liberté et de travail politique que cherchent à museler les régimes autoritaires. « Il n’y a pas encore de contrôle total de la population en Chine, mais il y a une volonté d’y arriver », conclut François Bougon.

Retrouvez l’intégralité de la conférence ici.

 

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