A la façon de François Beaune: Le troubadour

Projet : Atelier des récits


par Elise,

étudiante en CPGE au Lycée du Parc

 

 

Qu’est-ce qu’être conteur, musicien interprétant les bonnes et les mauvaises fortunes ?

Ce troubadour qui voyage du nord au sud d’est en ouest, son instrument à la main, que cherche-t-il ?

Le barde lors de son parcours trouve des héros dont il chante les péripéties. L’artiste se veut être la caisse de résonance du monde, il amplifie l’instant, l’ancre dans la durée. L’artiste capte des événements, boit les paroles, s’empare des émotions. Il s’emplit des morceaux découpés et fabrique sa partition.  Bien étrange l’artiste bagage, sac à pieds et sans fond.

Lorsqu’on le rencontre à la croisée d’un chemin, on peut être surpris. En le regardant attentivement de plus près, encore plus près, on peut saisir l’instant pendant lequel, juste avant de clamer son chant, il entrouvre les lèvres, pour prendre une grande inspiration, là, juste là maintenant, profites-en, plonge dedans !

La sensation de chute est brève, l’atterrissage se fait en douceur, tout artiste collectionneur aménage consciencieusement sa salle des trophées. Que de richesses, que de beauté, là des épices, une théière dorée, ici des coquillages venus de Méditerranée. Des boîtes à musique, des photos encadrées, mais dans ce paysage où l’Artiste est-il donc caché ? Les pièces à thème, interposées entre les couloirs du labyrinthe défilent. Une petite brise, quelquefois, fait virevolter un papier. Cependant hormis ces quelques bruissements, dans ce tentaculaire musée règne le silence. Peut-être que l’apostropher et déclarer l’intrusion, apporterait les bonnes faveurs d’un guide ou du propriétaire. « Artiste êtes-vous là ? ». Aucun mouvement, rien ne bouge, même le vent s’est arrêté. La recherche semble plus complexe qu’elle ne le laissait espérer. Un instant une ombre paraît bouger à l’encadrement d’une porte, mais dans la pièce à moitié plongée dans la pénombre, il n’y a qu’une table encombrée d’une vieille chaîne hi-fi dont l’heure obsolète affichée illumine des tas de feuilles gribouillées, de photos, et de CDs. Sur l’un des papiers un calligramme écrit à l’encre rouge forme une lune possédant un sourire, un très grand sourire, un trop grand sourire semblant s’étendre au-delà de sa face visible et dont lèvres sont formées de la phrase « rêver dans un autre monde, rêver dans un autre monde » inlassablement répétée. Sur une autre feuille un scorpion, dessiné avec la même encre couleur carmin, menace quiconque qui oserait l’observer de son dard sanglant. L’écran lumineux soudain clignote et le son tranchant d’un sabre sortant de son fourreau en fendant l’air résonne en boucle dans la pièce « zahim… zahim… zahim… ». Le lieu se retourne contre l’intrus qui ne semble pas le bienvenu. Il le repousse, l’éjecte ou il veut lui faire prendre ses jambes à son cou. Le sol est glissant, humide, rouge sang, de terre battue ou d’un individu. Une ombre passe, le lieu est hanté par un esprit justicier. Il protège ses biens, ses droits. Une fois loin de lui, il paraît se calmer. Un oiseau dans un arbre piaille, il semble gentiment se moquer, puis il s’envole. « Artiste ? » L’élan pour le suivre est vite réfréné au risque de chuter. L’arbre se trouve en haut d’une falaise que vient éroder la mer. Il est entouré d’épouvantails tous plus massifs les uns que les autres en cours de construction ou entièrement élaborés. Un ombre se faufile entre deux d’entre eux. Cette fois elle est bien nette et visible. Elle est à présent posée sur les épaules d’un homme de paille et essaie de s’immiscer à l’intérieur de sa chemise. Elle fusionne petit peu par petit peu avec lui. Le bras de paille commence à s’articuler, le bassin à bouger. Mais un filet grisâtre s’écoule de l’autre bras, grandit, grandit. Comme une goutte, l’ombre tombe sur le sol, sans bruit. Le pantin redevient immobile et l’étrange être est déjà reparti. La mer au loin est calme, son odeur salée imprègne la terre et le vent. Une brise fait frétiller l’arbre duquel s’envolent quelques fleurs duveteuses qui se posent délicatement à quelques mètres des statues de paille, arrêtées par le mur du bâtiment où se trouve le fantôme vengeur. Les grappes forment un tas, qui prend sa place au bout d’un chemin de coton. Le sentier longe la falaise et mène jusqu’à un toboggan débouchant sur une plage de sable. La mer y amène quelques ordures qui s’amassent sur le rivage. En y regardant de plus près, ces détritus ne sont autres que des barils de pétrole vides, quelques sachets hermétiques remplis de poudre ou des sous-vêtements plus ou moins bariolés… Le vent souffle et des objets non identifiés roulent loin de la vaste étendue d’eau salée. Une espèce de feuille percute une table derrière laquelle se trouvent deux chaises de formica. Leur assise est confortable, néanmoins d’ici la vue sinistre des vagues charriant l’écume est accablante, presque douloureuse. Sur la table est déroulée une carte de la Méditerranée et ses alentours. De nombreuses punaises plantées sur presque chaque pays l’empêchent de s’en aller avec le vent. Des annotations ont été marquées à côté de chacune d’entre elles puis barrées.  « Ici ? » Deux chopes de bière sont posées sur le coin de la carte. Elles semblent assez anciennes. L’artiste ne doit pas se trouver dans les parages.

Un radeau flotte sur l’eau, à une centaine de mètres une terre apparaît. La mer est calme à présent, autant en profiter. Au moment de jeter un dernier coup d’œil avant de partir, en haut de la falaise, une petite fille d’une dizaine d’années montre le bout de son nez, mais se voyant vue disparaît aussitôt.

La nouvelle terre est plus montagneuse. Des petites cabanes sont construites à droite, à gauche. Une forêt surplombe la plaine la plus proche dont les feuillages frétillent et chantent en chœur. Le premier abri est peuplé d’ombres qui disparaissent à la vue de quiconque. Sur les tables, des verres d’alcool et des sucreries et quelques feuilles de notes, mais aucunes traces d’âmes incarnées, qui vivent. L’abri suivant est une salle de sport bien rangée. Au mur sont accrochés des médailles, un sac de frappe, un porte vélo sans vélo, une photo mise sous verre d’un homme en kimono. Sur le chemin entre le deuxième et le troisième cabanon, un vélo d’enfant traîne à côté d’un muret. Encore du rouge, une tache sur le béton… D’autres marronnées et vertes, plus petites, l’accompagnent… De l’autre côté du petit mur, dans une petite brouette en plastique, des feuilles de salade et des coquilles d’escargot en mille morceaux ont été rassemblées… Certaines fois avec les enfants, mieux vaut leur laisser la présomption d’innocence que de trop chercher à savoir. Les rayons de la roue arrière du vélo s’agitent et une ombre s’en échappe. Elle avance à toute vitesse à travers la plaine et part se réfugier en forêt. Un hennissement retentit et au-dessus des chênes et des pins apparaît un cheval ailé, fait de carton et de papier mâché, dans lequel une ombre brille de mille éclats allant plus haut, toujours plus haut vers le soleil et disparaissant peu à peu sous l’horizon. Dans cette partie du musée dédiée à l’enfance, un bout de papier suffit à créer, les idées se concrétisent, les rêves deviennent réalité. Oui, les ombres sont des idées, des pensées errantes aspirant à trouver un corps pour les porter. L’enfant possède l’espoir que la cire des ailes d’Icare ne fondra jamais. De là sa beauté.

Dans une clairière de la forêt se trouvent deux mottes de terre. Une haute et une plus petite. Derrière chacune d’entre elles se trouvent des cailloux soigneusement assemblés pour former en lettres capitales tremblantes « PETIT MOUTON » et juste à côté « PETIT CHAT ». Une fleur séchée avait été déposée entre les deux. A quelques pas de là, se trouve la statue d’une gigantesque crevette couchée sur le côté, recroquevillée sur elle-même et dont la bouche forme l’entrée d’un abri ressemblant à une grotte. A l’intérieur, la mer résonne, des gouttes tombent du plafond sur le sol jonché de monticules de terre et de sable. Sur l’une d’entre elles se trouve un tissu, un vêtement humide, trempé plutôt, comme s’il sortait tout juste de la mer. En dessous une tresse dans le même état émerge de la terre. La boue est glissante, la chute se fait dans le vide, le cimetière était sur la corniche, l’atterrissage se fait sur de la pierre, face à la mer. Une énorme vague frappe le rocher et éjecte tout ce qui est posé dessus sur une pente raide. Ce violent pentaglisse amène directement sur un carrefour de toboggans, en plein cœur de ce qui ressemble à une ville, peuplée d’ombres et d’hommes de paille. Des séries de prénoms sont gravées le long des murs de pierres blanches. La première descente contrôlée en amène sur une deuxième. La tête tourne un peu, les étoiles brillent sous les paupières. Puis il faut monter. Au premier palier des cartes, passeports, photos, lettres sont abandonnées. Au deuxième la vue sur la ville est splendide : les toits orangés contrastent avec la blancheur des bâtiments et le bleu profond de la mer. L’air chaud enivre et donne des ailes. Au troisième, bien au-dessus des maisons et des immeubles, est planté un drapeau. Au même instant, le vent se lève et le fait vibrer fièrement. Les étoiles ne sont qu’à deux pas ! Cependant les ombres envahissent la place. Tour à tour elles viennent lécher le drapeau sans réussir à s’en vêtir. Un bruit de moteur retentit, que se passe-t-il ? La ville est à peine visible derrière ce brouhaha de taches. Le sol non plus, encore moins le drapeau. Il faut redescendre, avant de tomber.

Après quelques derniers toboggans, le pavé redevient de la terre puis de l’herbe fraîche. La petite fille déjà croisée, devenue jeune fille à présent, repasse furtivement avant de s’éclipser. Aux côtés d’un vieil arbre se trouve un lecteur de cassette, il y en a une placée dedans. Le bouton play est tentant. Une voix chevrotante mais douce et assurée commence le récit d’anecdotes diverses et variées. Sur le village, la famille, la vie, la société. Les minutes passent, les heures passent, les aubes et crépuscules pourraient s’additionner. Les histoires bercent, les histoires enseignent, les histoires réchauffent le cœur. Mais il y a une quête à remplir, une recherche à mener. Un oiseau s’approche et commence à chanter « itsu itsu itsu ». Une brise arrive du sud, il en profite pour la prendre et s’envoler. Une brise estivale incite aussi les Hommes à sortir de leurs pensées. Sur la plaine des traces de sabots forment un sentier. Les empreintes mènent par-delà les collines où elles zigzaguent le long de la pente, ce qui permet de monter sans s’épuiser. Le chemin s’arrête sur un plateau. Une petite table blanche y est dressée. Le vent fait bouger la chaise invitant à s’asseoir. D’ici la vue est splendide. La hauteur de la colline surplombe la mer, la forêt et la ville derrière lesquelles se couche le soleil. Les derniers rayons illuminent les échelles de la ville où des paliers supplémentaires ont été ajoutés, le rivage où les objets dessinent la forme d’un crustacé, la plaine où de nouveaux cabanons ont pris place entre un cheval qui broute et un troupeau de moutons. Artiste, dans ce monde, où êtes-vous ? Une mélodie à trois temps monte de la plaine, de la ville, de la forêt. Le vent fait tinter les glaçons dans le verre posé sur la table. Un cocktail à deux étages colorés. La paille entre les blocs de glace tourne dans le verre. Il n’y a pas d’autres solutions il veut se faire déguster. Tout d’abord une saveur sucrée, pétillante, alcoolisée vient faire frétiller les papilles. Puis en arrive une autre plus douce avec une petite pointe d’amertume qui balance avec la première. La fraîcheur du liquide n’est pas désagréable en ce soir d’été. Merveilleux cocktail gardé au frais par les glaçons, à savourer paisiblement, en admirant le coucher du soleil et le réveil de la lune. Il est sûrement ici, son coin, à l’Artiste. Là où il contemple le monde et les héros, la violence et l’innocence. Là, à sa petite place d’où il observe les ambitieux grimpeurs, et le sourire des enfants. Là où avec sa lyre il chante la vie, hymne à la paix. Là… Le vent se lève et tourbillonne, la chaise décolle lentement du sol et monte, monte vers la lune.

Le sac se penche puis bondit sur ses pieds, et, sur le rythme d’une valse à trois temps, s’éloigne sans se presser.

 

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