L’islam et la radicalisation, un débat explosif à la fac catho


La tribune du débat "Quelles sont les sources de la radicalité ?" De gauche à droite Olivier Galland, Anne Muxel, Julie Gacon (journaliste à France Culture - modératrice), Jean Birnbaum et Farhad Khosrokhavar et © Bertrand Gaudillère / Item

L’ »appartenance à l’islam » favorise-t-elle la radicalisation ?

Les musulmans seraient-ils plus tentés de se radicaliser que les autres croyants ? C’est vers cette question qu’a rapidement glissé le débat autour des sources de la radicalité organisé ce mardi dans le cadre du festival « La Chose Publique », suscitant des tensions entre les intervenants.

Mardi soir, l’amphithéâtre Alain Mérieux de l’Université catholique de Lyon était plein à craquer. Des curieux de tous âges étaient venus assister au débat sur les sources de la radicalité entre les sociologues Olivier Galland et Anne Muxel, co-auteurs d’une enquête sur la radicalisation auprès des lycéens (La tentation radicale), le journaliste Jean Birnbaum qui a publié un essai sur l’islam (La religion des faibles) et enfin le chercheur et directeur de l’Observatoire des radicalisations Farhad Khosrokhavar, qui a sorti également un livre sur le sujet (Le djihad en occident).

Malgré les différentes formes de radicalité existantes, en moins de deux minutes montre en main le débat a glissé sur la radicalisation religieuse et plus précisément sur l’islam. En dépit d’une tension manifeste entre Farhad Khosrokhavar et les trois autres débatteurs qui semblaient partir du postulat que les musulmans auraient plus de risques de se radicaliser que les autres croyants.

Un « effet islam »

« Dans notre enquête, on souhaitait mettre en relation les opinions radicales et les caractéristiques des lycéens interrogés pour hiérarchiser l’importance des facteurs explicatifs de la radicalisation », a expliqué Olivier Galland.

Et la conclusion de cette enquête statistique est sans appel : « l’effet islam » primerait sur tous les autres paramètres y compris socio-économiques.

« On n’aurait pas dû utiliser ce terme, regrette amèrement le sociologue en faisant allusion au tollé médiatique qui a suivi les résultats de l’enquête. Mais c’est un effet statistique. Statistiquement, l’appartenance à l’islam est le facteur prédominant de la tentation radicale. »

La méthodologie de l’enquête en question, réalisée suite aux attentats du 13 novembre auprès de 7 500 lycéens, laisse perplexe. Les jeunes ont répondu à un questionnaire constitué de QCM et de questions ouvertes accusées d’être destinées aux musulmans principalement, comme entre autres celle sur le port du voile. Bien que les auteurs se sont défendus d’avoir orienté le questionnaire, difficile de dire que le choix de l’échantillon ne l’était pas non plus : sur les 7500 lycéens de l’enquête, 1750 se déclarent de confession musulmane, une proportion bien plus importante que les 7% de musulmans en France.

« Avec un échantillon représentatif, on aurait eu très peu de musulmans, s’est justifié Olivier Galland. Donc on a choisi de les sur-représenter en choisissant des lycées en ZUS où on pouvait supposer avoir plus de musulmans. »

Déjà abondamment critiquée par d’autres chercheurs et par médias interposés, l’explication d’Olivier Galland a suscité la surprise du public et un hochement de tête désabusé de Farhad Khosrokhavar.

Les statistiques obtenues par Olivier Galland et Anne Muxel ne se confirment pas sur le terrain d’après l’anthropologue Dounia Bouzar, directrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) qui vient de réaliser après demande de la Commission européenne une enquête (Français radicalisés) sur les 1000 jeunes radicalisés suivis par le centre entre 2013 et 2016.

Conclusion de Dounia Bouzar : tous les jeunes peuvent être tentés par la radicalisation djihadiste, indépendamment de la religion dans laquelle ils ont grandi.

« Contrairement à Al Qaeda, les arguments de Daech et des autres groupuscules sont individualisés voire personnalisés, nous a expliqué Dounia Bouzar contactée par téléphone. Les recruteurs font une analyse du profil psychologique, sociologique et politique du jeune pour identifier le motif qui le fera adhérer à l’idéologie. Pour un jeune qui veut devenir médecin ou assistante sociale par exemple, ils privilégieront le motif humanitaire. Ça marche donc avec n’importe qui, on a déjà eu des athées radicalisés en trois mois. »

Conviction de la famille des radicalisés

Précarité et stigmatisation plutôt dans des milieux désislamisés

A la tribune du festival La Chose Publique, Farhad Khosrokhavar est allé dans le même sens. Pour lui, l’enquête d’Olivier Galland et Anne Muxel « s’est mis le doigt dans l’œil » :

« La plupart des radicalisés ne sont pas passés par le fondamentalisme religieux, explique-t-il. Surtout en France, ils viennent de milieux désislamisés et loin de la religion. La religion est juste un facteur parmi tant d’autres, et pas un prétexte ! »

Il est primordial, selon lui, de prendre en compte d’autres facteurs, et notamment les conditions sociales. Les ZUS ou zones urbaines sensibles où vivent les lycéens sujets de l’enquête d’Olivier Galland et Anne Muxel sont les quartiers dits « prioritaires », définis uniquement sur la base du revenu des habitants. Les ZUS ou quartiers prioritaires correspondent donc en fait aux quartiers pauvres.

Pour autant, Olivier Galland a assuré que « les facteurs économiques ne jouent pas ». Une affirmation pas du tout partagée par Farhad Khosrokhavar dont l’exaspération est montée crescendo :

« Il faut prendre en compte les conditions socio-économiques urbaines », a-t-il réagi vivement.

Le chercheur a aussi mis l’accent sur un point qui n’apparaît comme facteur de radicalisation ni dans l’enquête d’Olivier Galland et Anne Muxel, ni dans l’essai de Jean Birnbaum : la stigmatisation.

« Il y a des préjugés sociaux envers les musulmans qui font que si vous vous appelez Mohammed, pour obtenir un emploi vous avez le cinquième des chances de quelqu’un qui s’appelle Robert, a détaillé Farhad Khosrokhavar. La grande partie des radicalisés viennent d’endroits stigmatisés. La radicalisation s’explique aussi par toutes ces formes d’humiliation et d’enfermement de ces jeunes dans un imaginaire où toutes les portes sont fermées aux musulmans, c’est-à-dire une société sans utopie pour cimenter le vivre-ensemble. Et la dystopie qu’est le djihadisme devient très attractive dans ce cadre-là. »

Une vive agitation s’est emparée des trois autres débatteurs, et notamment de Jean Birnbaum qui s’est empressé de citer des auteurs allant dans son sens, au grand dam de Julie Gacon, la journaliste chargée de modérer la rencontre.

La tribune du débat "Quelles sont les sources de la radicalité ?" De gauche à droite Olivier Galland, Anne Muxel, Julie Gacon (journaliste à France Culture - modératrice), Jean Birnbaum et Farhad Khosrokhavar et © Bertrand Gaudillère / Item
La tribune du débat « Quelles sont les sources de la radicalité ? » De gauche à droite Olivier Galland, Anne Muxel, Julie Gacon (journaliste à France Culture – modératrice), Jean Birnbaum et Farhad Khosrokhavar et © Bertrand Gaudillère / Item

« Guerre de religions imminente »

Malgré cette argumentation de Farhad Khosrokhavar, les autres intervenants n’ont donc pas voulu en démordre : l’ »appartenance à l’islam » est le facteur numéro un de radicalisation.

« Le monde chrétien en général n’a pas le même rapport à la violence que le monde musulman, est même allé jusqu’à affirmer Jean Birnbaum, rédacteur en chef du Monde des livres, déclenchant des froncements de sourcil dans le public. Prenez le Pape François, il passe son temps à réfuter la violence. Il faut toujours être solidaire avec les gens victimes de stigmatisation, mais il y a aussi des islamistes qui sont fils de banquiers donc on ne peut pas réduire aux conditions sociales. »

Nous avons fait réagir Haoues Seniguer, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lyon. Pour lui, il est dangereux de lier la violence à une appartenance à l’islam.

« Premièrement, la radicalisation est un mot fourre-tout qui obscurcit les débats, prévient-il. Effectivement, il y a le constat objectif qu’il y a des violences perpétrées au nom de l’islam, mais on ne peut pas en tirer la conclusion qu’il y a un lien structurel entre l’islam et la violence. Parce que c’est ça le risque ! Cette violence est conjoncturelle, et selon la conjecture elle prend une grammaire différente. »

Comment oublier, selon lui, la violence de groupes radicaux israéliens envers les Palestiniens ou dans un degré moindre les actions anti-avortement des évangélistes aux Etats-Unis ?

Pour Jean Birnbaum cependant, nous allons tout droit vers une guerre de religions dont « les djihadistes sont la pointe avancée de la radicalisation du monde islamique ». En dépit de la réserve affichée par les autres intervenants, l’affirmation de l’essayiste a trouvé un certain écho dans le public, inquiet.

« Guerre de religions imminente » ou crispations françaises autour de l’islam, le débat est plus que jamais d’actualité.

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