La victoire et la responsabilité
Le 19 juin 1865, le « Juneteenth ». Ce jour-là, les esclaves de Galveston, au Texas, apprennent qu’ils sont désormais libres. Libres d’une servitude, d’un joug et d’un asservissement terrible faisant d’eux des victimes d’une pensée nauséabonde et désormais universellement condamnée, selon laquelle le l’individu Noir n’appartiendrait pas à l’espèce humaine.
La victoire
Tout est parti de la controverse de Valladolid[1]. Un débat qui a opposé le dominicain Bartolomé de las Casas et le théologien Juan Ginés de Sepulveda d’août 1550 et à mai 1551 au Collège San Gregorio de Valladolid en Espagne. Au cours de ce débat qui réunissait des théologiens, des juristes et des administrateurs du Royaume, il était question de réfléchir à « la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde, suspendues par lui, pour qu’elles se fassent avec justice et en sécurité de conscience »[2]. Derrière cette grande question se cache en réalité celle de savoir si les Indiens – à cette époque des esclaves – étaient des êtres inférieurs ou des hommes comme les européens. La réponse à cette question serait le point d’ouverture à la possibilité pour les Espagnols de pouvoir coloniser le Nouveau Monde et dominer les indigènes, (les Indiens précités), par droit de conquête, avec la justification morale de mettre fin à des modes de vie qu’ils ont observés chez cette civilisation qualifiée de « précolombienne » visant à leur apporter le « seul bon exemple » de la civilisation coloniale.
C’est à l’issu de ce procès, qu’il a été officialisé que les Amérindiens ont un statut égal à celui des Blancs. Bien entendu cette décision ne s’appliquant pas aux Noirs d’Afrique, il était donc possible d’en faire des esclaves. C’est à partir de cette controverse que les Européens ont généralisé la pratique de la traite des Noirs pour alimenter le Nouveau-Monde en esclaves. Ainsi commença le périple du Noir, qui entache et avilit encore la génération Noire actuelle. Un héritage non seulement douloureux, mais aussi humiliant qui ne saurait trouver une réparation noble que dans la volonté de rééduquer les générations présentes et à venir sur l’humanité des Noirs.
Le 19 juin 2020, moins d’un mois après la mort tragique de George Floyd, un homme afro-américain, lors de son interpellation par un policier blanc à Minneapolis, dans le Minnesota aux États-Unis, le souvenir de l’esclavage reste encore vif. Aux yeux du monde entier, Cet homme a poussé le cri de tout un peuple alors qu’il était interpellé par quatre policiers dans sa voiture, menotté et plaqué au sol sur le ventre, genou contre son cou : « I CAN’T BREATHE ».
Ce cri poussé, a pénétré les méandres des abîmes et réveillé des ancêtres furieux notamment des latences, des silences, des surdités des différents auteurs et complices de la souffrance Noire. Ebranlée la terre a rugit et le monde a brandi « BLACK LIVES MATTER ». Une mobilisation dont la ténacité est inattendue a fait prendre conscience à plus d’un que la plaie, longtemps étouffée, est gravement infestée. Il faut la soigner.
A travers une résolution symbolique votée le vendredi 19 juin 2020, donc, le Parlement européen à fait reconnaître l’esclavage comme « crime contre l’humanité ».
« Le Parlement européen invite les institutions et les États membres de l’Union européenne à reconnaître officiellement les injustices du passé et les crimes contre l’humanité commis contre les personnes noires et les personnes de couleur ; déclare que la traite des esclaves est un crime contre l’humanité et demande que le 2 décembre soit désigné Journée européenne de commémoration de l’abolition de la traite des esclaves ; encourage les États membres à inscrire l’histoire des personnes noires et des personnes de couleur dans leurs programmes scolaires. »[3]
En effet, L’Assemblée ou le Sénat peuvent adopter des résolutions européennes sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. Ces résolutions, prévues par l’article 88-4 de la Constitution, n’ont pas de valeur juridique contraignante et leur portée est exclusivement politique. L’article 88-4 précité, prévoit que tout projet ou proposition d’acte de l’Union européenne est transmis à l’Assemblée et au Sénat, qui peuvent émettre des « résolutions européennes » sur ces projets et propositions mais également sur tout acte émanant d’une institution de l’Union européenne.
Par définition, une résolution est un texte dans lequel l’assemblée concernée exprime une prise de position sur un acte donné, prise de position qui n’engage juridiquement pas le Gouvernement mais dont, de fait, il tient compte dans les négociations. Une proposition de résolution peut émaner de la commission des Affaires européennes ou de tout député. Dans le second cas, elle est d’abord examinée par la commission des Affaires européennes puis, dans les deux cas, elle est transmise pour examen à la commission permanente compétente au fond. Le texte adopté par cette dernière peut ensuite, à la demande d’un président de groupe, d’un président de commission ou du Gouvernement, être inscrit dans les 15 jours à l’ordre du jour de l’Assemblée, qui se prononce ; s’il n’est pas inscrit à l’ordre du jour, il est considéré comme adopté en l’état.
A cet égard, cette résolution est purement « symbolique », une reconnaissance non sans valeur moindre, mais qui ne trouve sa pleine effectivité que dans l’engagement ferme des différents Etats membres. La lecture du jeu politique et diplomatique international, ne laisse pas moins naïve, l’appréciation qui peut être faîte de l’opportunité de cette résolution. Cependant, l’avantage de son humanité et l’espoir qu’elle suscite prête à la réjouissance d’une première victoire à consolider par la responsabilité de tous et de chacun.
La responsabilité
Toujours avant-gardiste en matière de protection des droits et libertés fondamentaux, la France avait déjà voté le 21 mai 2001, une loi tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité. Cette loi, portée par la vaillante Christiane Taubira, alors députée au Parlement français, 1ère circonscription de Guyanne avait déjà anticipé les recommandations contenues dans la résolution précitée.
Au nombre des implications de cette loi, se trouvent la création du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, la création d’une journée de la mémoire de l’esclavage, célébrée annuellement le 10 mai, une « mission de préfiguration d’un centre national consacré à la traite, à l’esclavage et à leurs abolitions » présidée par l’écrivain martiniquais, Édouard Glissant, l’ouverture du Musée de l’Histoire de l’immigration en 2007 au Palais de la Porte-Dorée et le dépôt de plusieurs plaintes.
Cependant tout comme la fraîche résolution adoptée, les intentions restent fortement mémorielles plutôt que coercitives. Dans le sens de la coercition, l’on pourrait se rabattre sur les dispositions prohibant les discriminations prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et le bloc de constitutionnalité français pour ne citer que l’exemple de la France.
Ce combat, vigoureusement porté par Madame Taubira, ne saurait trouver un écho favorable que dans l’engagement africain, très souvent en marge des réflexions qui concernent directement les Noirs. « Larme est un mot sucré » dixit Christiane Taubira lors d’un des interviews qui lui avait accordée. Lorsque par exit, elle rend la monnaie au prix de la besogne de Canne à sucre répondait le professeur Prince Agbodjan Didier[4] par ailleurs. Ce mot sucré serait d’un goût délicieux, si larme pouvait être de joie.
La journée 10 mai pour commémorer le souvenir de l’esclavage et de son abolition est gratifiant. Toutefois, le souhaitable serait un jour décrété par l’Union Africaine pour honorer la mémoire de ceux qui ont porté la douleur de cet acte ignoble. Qui de mieux placer que les africains eux-mêmes pour honorer la mémoire de ceux qui ont payé le prix du sang, du joug, de la force et de la vie. Quand bien même, aujourd’hui la liberté n’est pas acquise, elle sera le fruit d’un combat générationnel déterminé dont les bases se posent progressivement par les « anciens ».
Conclusion
Puisqu’à la besogne le Noir été contraint, qu’il gage d’y vaquer désormais librement. Sans contestation, la liberté implique des devoirs, de la responsabilité, des décisions fortes mais surtout de l’abnégation. Ces décisions passent aussi par le courage de s’opposer aux aides internationales. Il n’empêche que dans un élan de solidarité transparente et mutuelle, un soutien est toujours la bienvenue. Mais les aides déguisées sont avilissantes comme l’écrivait Leila Janah – paix à son âme- « Much has been written about how our foreign aid, aid programs, antipoverty strategies, and nonprofits consistently indermine the people they are supposed to help (…) »[5]. C’est donc une prise de conscience et un travail rigoureux portés par des visions humanistes et soutenues par les forces politiques, qui édifieront l’idéal auquel, tous et toutes désirent ardemment tendre.
Lyon, le 19/06/2020
Références
[1] CARRIERE J-C. 1992. La controverse de Valladolid, Editions Le Pré aux clercs, 1992.
[2] https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2006-1-page-7.htm2
[3] https://la1ere.francetvinfo.fr/parlement-europeen-reconnait-esclavage-crime-contre-humanite-844794.html
[4] PRINCE AGBODJAN D. 2020, Maître de conférences en Droit international à l’Université Catholique de Lyon
[5] JANAH, L. 2017. Give work, Reversing poverty one job at a time, 2017.